Pleins feux sur Trois mille

Project Spotlight:Ce film inspiré d’archives revisite le passé, le présent et l’avenir des Inuit selon une perspective nouvelle et lumineuse.

Souveraineté autochtone Création Représentation
A celestial figure appears to be floating in the sky, with their arms outspread and a smile on their face. The sky has the colours of the northern lights.

Avec Trois mille, l’artiste inuite Asinnajaq nous plonge dans un sublime univers imaginaire. En 12 minutes de cinéma lumineux inspiré par des documents d’archives, elle revisite le passé et le présent du peuple inuit pour imaginer son avenir sous un angle nouveau et saisissant. 

Souriante et les bras ouverts, une silhouette surnaturelle semble flotter dans un ciel aux couleurs d’aurore boréale.
Asinnajaq, Trois mille (2017)

 

 

À partir des vastes archives de l’ONF, elle examine l’histoire complexe de la représentation du peuple inuit au cinéma en glanant demi-vérités et événements fortuits dans diverses sources : actualités filmées, films de propagande, documentaires ethnographiques et œuvres de cinéastes autochtones. Intégrant des images historiques à une animation originale, elle fait apparaître une vision d’espoir et de belles possibilités.

Asinnajaq, Trois mille (2017)

Source : Ce film a d’abord été diffusé sur ONF.ca. Il est aussi proposé en ligne en inuktitut sur NFB.ca. GRACIEUSEMENT FOURNI PAR L’ONF.

Portrait en gros plan de la cinéaste Asinnajaq qui fixe la caméra, debout au milieu de rangées de boîtes de films. On voit sur son visage des tatouages inuits
La réalisatrice Asinnajaq. SOURCE: ALEX TRAN.

Entretien avec Asinnajaq 

Comment décrivez-vous votre patrimoine ?

Innujunga! Je suis inuite. Je suis née à Kuujjuaq, mais j’ai grandi surtout à Montréal, ce qui fait de moi une Inuk urbaine. Mon père, Jobie Weetaluktuk, est cinéaste, et sa famille élargie habite Inukjuak, au Nunavik. Ma mère, Carol Rowan, enseigne à l’université en éducation de la petite enfance. 

Quel contact avez-vous eu avec la culture inuite, vous qui avez grandi à Montréal ?

Quand j’étais enfant, nous nous réunissions à l’occasion avec d’autres Inuit lorsqu’il y avait des fêtes, et ma famille se rendait à Inukjuak dès qu’elle le pouvait. Ma mère nous a toujours incités à connaître notre patrimoine et à le faire découvrir. Récemment, j’ai collaboré à diverses manifestations culturelles avec mes compatriotes inuits. Stephen Puskas et moi avons été invités par la Galerie FOFA à mettre sur pied un festival annuel du film inuit. Je fais également partie d’un groupe de couture qui se réunit toutes les semaines pour confectionner des vêtements traditionnels, par exemple des pualoks et des amautis. Il y a des années que les Inuit habitent la ville, mais j’ai le sentiment qu’en ce moment nous travaillons davantage ensemble pour accentuer notre présence culturelle au sein de la vie urbaine. 

Avez-vous voyagé dans l’Inuit Nunangat ?

J’ai bien de la chance. Après le secondaire, l’un de mes premiers emplois a consisté à travailler sur un bateau de croisière dans l’Arctique. J’ai donc beaucoup voyagé dans les quatre régions de l’Inuit Nunangat. Je suis allée à l’île de Baffin, aux monts Torngat, à l’île Beechey et à de nombreux autres endroits, et j’ai eu l’occasion de visiter les caches de vivres traditionnelles, ainsi que les habitations de Thulé. Quelle expérience extraordinaire ! J’ai beaucoup appris sur la culture et sur l’histoire des Inuit durant cette période. 

Et puis, je rends régulièrement visite à ma famille au Nunavik, histoire de retrouver mes cousins et de renouer avec le territoire. J’essaie d’y passer un mois l’hiver et un autre l’été pour faire du bateau, cueillir des petits fruits et chasser le phoque. J’aime le thé du Labrador : on m’a appris où le trouver et j’en rapporte des feuilles en quantité suffisante pour en boire toute l’année. Et j’adore me trouver là-bas lorsqu’on célèbre une naissance chez l’un de mes proches.

Image animée illustrant une mère inuite debout, de face, qui porte un bébé sur son dos. À l’arrière-plan, des formes d’igloos et un ciel d’aurore boréale luminescents se dessinent.
Asinnajaq, Trois mille (2017).

Abordez-vous le public inuit et le public non inuit de façon différente ?

Oui, il y a une différence. Lorsque vous créez un film, ou n’importe quelle œuvre d’art, vous devez vous demander qui est votre interlocuteur et comment vous vous adressez à lui. Par exemple, si ce que je réalise est exclusivement destiné à un public inuit, je n’ai pas à expliquer ce qu’est un amauti. Nous partageons déjà une certaine compréhension commune du monde. Mais lorsque je m’adresse à des spectatrices et des spectateurs qui ne sont pas inuits et qui connaissent sans doute peu cette culture, je sais que je dois expliquer davantage. 

Vous avez intégré beaucoup d’images d’outils et d’objets traditionnels dans Trois mille… 

Oui. J’aime toutes ces choses, les uluks, les pualoks, les amautis. J’ai l’impression qu’elles me relient au passé, à une vaste temporalité. Chaque fois que je me sers de mon ulu (couteau universel) pour couper quelque chose, une peau ou un tissu, j’accomplis un geste que des milliers d’Inuit ont fait avant moi et qu’ils continueront — je l’espère — d’accomplir. Ce sentiment d’appartenance peut modifier la façon dont on se voit soi-même, et celle dont on perçoit le temps, également. 

Aucune des images d’archives ne s’accompagnait de son. Comment avez-vous abordé la piste sonore, pour Trois mille

Les anciennes archives sont muettes. Ce ne sont que des images en mouvement. Il m’a semblé essentiel de rendre hommage à des gens qui avaient été réduits au silence en créant intentionnellement un son évoquant la vie. Le souffle forme donc la base de la trame sonore. Nous avons enregistré la prestation vocale de Tanya Tagaq et de Celina Kalluk — des sons qui raniment ces images silencieuses. Ces chants de gorge des femmes inuites évoquent la sonorité de la vie qui les entoure : les traîneaux à chiens, le vent et ainsi de suite. Catherine Van Der Donckt, conceptrice sonore, et moi avons aussi réalisé plusieurs enregistrements de notre propre souffle en réagissant de différentes façons à ce qui se déroulait à l’écran. 

Nous avons ensuite ajouté le bruitage, tous ces sons d’ambiance qui confèrent aux images une immédiateté, puis la musique. Olivier Alary et moi nous sommes beaucoup consultés à mesure que les images prenaient forme. J’ai entendu sa version finale sans trop savoir si elle allait convenir exactement, mais c’est tout à fait le cas ! Elle est subtile, quelque part entre la tristesse et la joie. 

Vous vous présentez comme une Inuk et parlez d’Inukjuak comme de votre communauté d’origine. En quoi cela influe-t-il sur votre travail ?

Peu importe ce que je fais ou ce que je réalise, je pense à la famille — à mes nièces, à mes cousins et aux autres membres de la famille élargie — et j’essaie de bien faire.

 

Les films proposés sur ONF.ca sont diffusés en continu gratuitement, sous réserve de la situation géographique des internautes.